Les « traîtres », selon Günther Anders

Les « traîtres », selon Günther Anders

[…] leur tactique – une tactique sans aucun doute inconsciente pour une large part – consiste le plus souvent à faire paraître leur objet plus petit qu’il n’est, à minimiser ce qu’il a d’inédit, d’anarchique, à le présenter comme un moyen parmi d’autres, bref, à contester le fait que ce qui met en danger et risque de faire voler en éclats le bon vieil univers des moyens auquel ils sont habitués, c’est bien ce qu’ils ont eux-mêmes produit. Pour ce faire, leur procédé favori est de transférer la composante anarchique qu’ils ne peuvent pas complètement nier, et de l’imputer à ceux qui mettent en garde : de les présenter en bloc comme des anarchistes, des révolutionnaires, c’est-à-dire comme des traîtres. Il faut dès lors comprendre le mot de « traîtres » comme désignant ces hommes d’honneur qui dévoilent la vérité à ceux que l’on trompe, à l’humanité trahie et sacrifiée. Personne ne devra s’étonner que ce « transfert » s’effectue pour le moment avec succès, puisque les premiers « responsables » sont toujours ceux qui dénoncent le crime et non ceux qui le commettent.

Günther Anders, « l’obsolescence de l’homme », 1956
(trad. Christophe David, Ed. L’Encyclopédie des Nuisances 2002, p282)

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