Tirer dans le tas
Je n’ai jamais compris pourquoi il n’y avait pas plus de gens qui descendaient dans la rue pour tirer dans le tas. La tentation est tout de même sacrément forte. Il doit y avoir des millions de personnes qui en ressentent l’envie chaque jour. Vivre dans un monde aussi immonde, comment est-ce encore possible ? L’envie de tuer son voisin doit forcément devenir de plus en plus omniprésente… J’ai toujours trouvé curieux que ce soient essentiellement presque toujours des fous de Dieu ou des suprémacistes qui passent à l’action. Certainement pour la simple raison que ce sont les premiers à en trouver les moyens, s’appuyant sur des réseaux existants. Il s’agit peut-être aussi des personnes les plus motivées. Il faut pouvoir passer par dessus le respect de la vie humaine, de la vie tout court, et surtout par dessus le respect de l’innocence. Je n’ai, personnellement, aucune envie de tuer des innocents. C’est ce qui me chagrine. Comment accéder aux véritables salauds ? Il est plus facile, bien entendu, de descendre dans la rue et de dégommer des innocents, que de descendre dans la rue et de dégommer des coupables. C’est, sans doute, ce qui retient la plupart des gens. Je crois que la plupart des gens sont comme moi : ils n’ont pas particulièrement envie de tuer des innocents. Peut-être même que la plupart des gens, je veux dire la majorité des gens, ces gens à qui l’ont ne demande pas leur avis, que les puissants méprisent, à qui l’on dit qu’ils sont biens heureux d’avoir déjà le droit de vote, je pense que cette majorité des gens a justement envie de défendre les innocents plutôt que de les exterminer. Peut-être que pour passer à l’acte, pour descendre dans la rue et tirer dans le tas, aussi défoulant cela serait-il, peut-être faut-il être capable de se persuader que les autres sont tous des salauds ou de la vermine… Il faut certainement être réellement fou. Voilà pourquoi l’on ne voit quasiment jamais que des dégénérés cérébraux qui passent à l’acte. Dans les pays en tout cas où l’accès aux armes à feu n’est pas immédiat, où il faut une vraie persévérance pour se procurer le nécessaire. Aux États-Unis, la disponibilité des armes à feu change la donne, elle permet à des personnes plus impulsives de passer à l’acte. Ces personnes, ces adolescents bien souvent, qui n’ont rien de fous de Dieu, ni de fous de guerre ou de suprémacistes, j’ai l’impression de les comprendre. Il est difficile, et certainement prétentieux, et faux, de dire que l’on peut comprendre un tueur de masse, mais quand on a soi-même plusieurs fois eu sincèrement envie de descendre dans la rue et de tirer dans le tas, on peut, peut-être, commencer à prétendre comprendre un tout petit peu comment on peut en arriver là. Vivre dans un monde aussi horrible est atroce. Cela doit être encore plus atroce pour un adolescent. Moi j’ai été adolescent dans les années 1980. J’avais encore la possibilité d’espérer. Ce n’est que plus tard, largement adulte, que j’ai réalisé qu’il était bien naïf d’espérer encore en l’espèce humaine. Mais un adolescent, aujourd’hui ? Quelle horreur ! Quel cauchemar ! La réalité est devenue bien pire que n’importe quelle fiction dystopique. Quel avenir aujourd’hui ? Quelles initiatives sont-elles prises pour essayer de le changer !? Quel spectacle lamentable ! Comment les adolescents d’aujourd’hui n’ont-ils pas envie d’exterminer tous les vieux, qui ont participé à cet état de fait ? Les accords internationaux sur le climat sont ridicules et insuffisants, et pour comble du minable, le pays le plus riche du monde peut se permettre d’en claquer la porte ! Qu’ont-ils dans la tête tous ces vieux cons ? C’est le monde entier qu’il faut changer ! Une révolution totale est devenue indispensable ! Et pourtant les vieux cons continuent de se satisfaire du monde comme il est, et certainement des avantages magnifiques qu’il doit encore leur fournir…
Alors que faire ?
Faut-il espérer que les progrès technologiques régleront le problème ? N’est-ce pas une profonde hypocrisie ? Qu’est-ce qu’une science sans conscience ? Qu’est-ce qu’une technologie sans une espèce humaine capable de l’utiliser à bon escient ?
N’est-il pas temps que l’espèce humaine progresse enfin, vraiment ?
Cette crise ne signifie-t-elle pas que nous ayons un cap à passer ? Un cap vital ?
Alors que faire ?
Signer un accord international visant à réduire les émissions à effet de serre ?
Opter pour la voiture électrique ?
Organiser des campagnes de ramassage des déchets plastiques sur les plages ?
Trier ses déchets ?
Utiliser un composteur ?
Planter des éoliennes ?
Inventer de nouveaux puits à carbone ?
Développer le nucléaire ?
Limiter les transports aériens ?
Réduire les transports maritimes grande-distance ?
Favoriser les circuits courts ?
Subventionner le covoiturage ?
Manger moins de viande ?
Cloner les espèces en voie de disparition ?
Décroître ?
Partir sur Mars ?
Vivre dans la forêt ?
Certaines de ces actions sont peut-être de bonnes initiatives, mais elles ne suffiront pas.
Et surtout, croire que des actions individuelles vertueuses pourront changer les choses est une profonde illusion. Elles peuvent être nécessaires, quand leurs effets sont réellement bénéfiques, mais elles ne suffiront pas.
C’est une profonde illusion de croire que nous pourrons passer ce mauvais cap sans changer profondément de cap.